LA MAIN LESTE DU DABE...
Le "Dabe", c'est ainsi que ses amis surnommaient Jean Gabin. Ca veut dire le père, vous aviez compris. Le mec qu'on respecte.
Dans le cinéma des années 1950/1960, la gifle faisait partie de la violence ordinaire, pas plus grave que ça, en somme.
A l'école, où l'on ne fessait plus les élèves (sauf exception...) La baffe était monnaie courante. Elle était aussi distribuée facilement dans les commissariats, et servait à corriger Ginette quand son barbeau n'était pas satisfait du rendement de la journée.
Dans le monde "normal", la mornifle était généralement appliquée par la demoiselle envers laquelle le monsieur avait manqué de tact, ou avait eu la main fureteuse. Certaines profitaient d'ailleurs de cette prérogative que l'on accordait aux faibles femmes devant protéger leur dignité... Il était plus rare que monsieur corrige sa femme de cette manière au sein du ménage, ce qui aurait provoqué un immédiat retour chez la belle doche, le temps de préparer les représailles... Chez les Américains, on sait que les gifles s'appliquaient plus bas, pour régler un litige conjugal.
Entre hommes, la gifle avait un côté méprisant, qui invitait à poursuivre avec du plus lourd, sauf si l'on avait à faire à un dégonflé qui filait cuver sa honte en privé.
Comme dans "Le Quai des Brumes", de Marcel Carné, où Gabin file une triple paire de beignes à Pierre Brasseur !...
Je ne sais pas si c'est là le déclencheur, mais Gabin aura une carrière riche en claques !... Il en octroie à tout le monde, aux filles, aux mecs !... En 1954, dans : "Razzia sur la Chnouf", c'est mon copain Paul Bisciglia qui déguste. (J'avais rencontré Paul sur deux tournages, on avait sympathisé, il me racontait ses souvenirs...) "Quand je jouais avec Jean", Me dit-il... En fait, j'ai vu plus tard le film d'Henri Decoin à la télé, et la scène est brève : Bisciglia, en veste de loufiat, sort un sachet de came planqué derrière un tableau ; Gabin arrive et lui colle une paire de mandales format adulte !... Le "dialogue" s'arrête là...
Paul n'avait visiblement pas envie de parler de cet aspect des choses, mais les allers et retours de Jeannot, c'était de l'authentique !... Pas le temps de répéter, de faire de savantes esquives, non ; ça partait sec dans la pastèque, et on passait à autre chose. Au cinéma, le temps, c'est de l'argent...
Bisciglia n'a pas fait que se faire baffer par Gabin, il a traîné ses bottes sur au moins deux-cents films... (C'est le type au premier plan, avec la vareuse ouverte, dans : "On a Retrouvé la Septième Compagnie").
Un an plus tard, dans "Touchez pas au Grisbi", de l'excellent Jacques Becker, c'est la môme Jeanne Moreau qui morfle.
Il a son air des mauvais jours, "Max le Menteur"... Ca va partir !...
Le petit pincement de lèvres, pour accompagner le mouvement, c'est excellent !... Je me suis demandé un instant s'il ne giflait pas plus vite que son ombre, mais je ne crois pas...
Et puis, il y a : "Le Désordre et la Nuit", un chouette film noir De Gilles Grangier, avec Audiard aux dialogues . (*)
Celle-là n'est pas mal non plus, vous ne trouvez pas ?... On sent bien qu'il est colère !... Et à quatre exemplaires grâce aux miroirs !... Là, on peut vraiment pas truquer...
Il faut préciser que la fort jolie Nadja Tiller l'avait bien poussé à bout, et qu'après, ma foi... Elle avait eu ce qu'elle cherchait... Extrait du dialogue :
- Tu l'avais bien mérité !...
- Est-ce que je me plains ?...
Voilà qui est clair.
Il y a forcément eu d'autres joues qui se rappellent de la paume du "Dabe", mais je ne m'en souviens pas ou je n'ai pas vu les films...
Quand je pense qu'il avait ce fier soutien du Front sous la main dans "En Cas de Malheur", et qu'il ne la gifle ni ne la fesse !... Remarquez, il ne demandait peut-être que ça, mais si ce n'était pas dans les vues de Claude Autant-Lara, y avait rien à faire !...
Bon, j'arrête là, c'est les vacances. Amusez-vous bien...
(*) Deux flics discutent en attendant l'inspecteur Valois (Gabin) :
« - Dis donc à Valois qu’il me donne un coup de fil, qu’on prenne contact, dit l'un.
- Ça fait vingt ans que tu le connais, tu peux pas l’appeler toi-même ?
- Bah quand je lui téléphone, il est jamais très aimable. Y’a quelque chose qui lui plaît pas, c’est le téléphone ou moi... Il t’a jamais rien dit ?
- Sur le téléphone ? Non. »